GPO 2023

Comment déterminer le cours d'un accord mondial sur les pandémies ?

2023 est une année particulièrement critique pour l’élaboration de règles de pandémies qui auront des conséquences pour les décennies à venir. L’inclusion, l’inégalité et la géopolitique problématiques clés autour des sont des négociations du traité sur les pandémies.

Geneva Policy Outlook 2024
30 janvier 2023
5 minutes de lecture
Photo par Fusion Medical Animation / Unsplash

Par Suerie Moon

L’année 2023 va pouvoir faire ou défaire les efforts déployés pour préparer le monde à la prochaine pandémie et pour faire face aux maladies quotidiennes qui touchent la vie de milliards de personnes. Les gouvernements se sont engagés à respecter un calendrier ambitieux pour convenir non pas d’un, mais de deux ensembles de règles internationales d’ici mai 2024 : 1) modifier le Règlement sanitaire international (RSI) préexistant qui régit la propagation transfrontalière des maladies infectieuses, dont la dernière mise à jour remonte à près de vingt ans, et 2) élaborer un vaste et ambitieux « instrument de lutte contre les pandémies » (fréquemment qualifié de « traité ») pour aborder de nombreuses questions dépassant le cadre du RSI. Tout est encore ouvert à la négociation, mais les accords finaux pourraient avoir des conséquences considérables sur la rapidité avec laquelle nous serons en mesure de détecter et de contenir la propagation de nouveaux agents pathogènes à leur source, sur l’accès aux vaccins et aux traitements vitaux et sur le bon fonctionnement des systèmes de santé au jour le jour, entre autres.

À la fin de l’année 2022, les gouvernements avaient accepté de travailler à partir d’un « projet conceptuel zéro » de traité sur les pandémies, précurseur du projet zéro qui doit donner le coup d’envoi des négociations à compter de la fin février 2023. La route vers ce document a été longue mais, s’ils sont certes lents, les progrès n’en sont pas moins constants. Fin 2020, l’idée d’un traité sur les pandémies avait commencé à circuler. Fin 2021, les États membres de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) avaient accepté d’ouvrir les négociations et, à la mi-2022, avaient convenu que l’instrument devrait être juridiquement contraignant. La question est maintenant de savoir quelles obligations les gouvernements seront prêts à assumer.

Cinq grandes questions se posent.

La première est l’inégalité. Ici, à Genève, les disparités de pouvoir entre les pays se manifestent généralement par la taille des missions diplomatiques. Les pays les plus grands et les plus riches disposent souvent d’équipes dédiées de diplomates généralistes de la santé, soutenues par des équipes encore plus importantes d’expert·es en la matière dans leurs capitales. En revanche, de nombreux petits pays – qu’ils soient riches ou en développement – n’ont souvent qu’un·e seul·e diplomate censé·e chapeauter non seulement la santé, mais également les droits humains, le désarmement, les crises humanitaires, la migration et les nombreuses autres questions régies à Genève. Certains pays n’ont pas du tout de représentant·es de la santé à Genève. Compte tenu de ces disparités, peu de pays sont en mesure d’influencer, de manière significative, les négociations sur les traités relatifs aux pandémies, ce qui risque d’entraver l’adhésion politique nécessaire à la mise en œuvre de ces engagements en aval. Une fois que des règles internationales seront convenues, il pourrait se révéler très difficile de les modifier. Ainsi, ces règles internationales pourraient institutionnaliser des inégalités de pouvoir au moment où elles seront convenues, avec des répercussions pour les décennies à venir.

La deuxième question est de savoir comment les délégué·es vont faire face aux négociations du RSI qui montent actuellement en puissance parallèlement aux négociations du traité sur les pandémies. Avant la Covid-19, le RSI constituait la principale réglementation internationale en matière de pandémies. Si cela vous semble un peu confus, c’est normal. Le fait que nous ayons maintenant deux négociations internationales sur la réglementation des pandémies qui se déroulent en parallèle est, naturellement, le résultat d’un compromis politique : entre les pays qui ont reproché au RSI son manque d’efficacité pendant la Covid-19 et ont milité pour un traité sur les pandémies et ceux qui ont jugé plus simple de modifier le RSI. Nous assistons déjà à des négociations complexes sur deux scènes politiques, les diplomates se dédoublant pour défendre les priorités les plus importantes de leurs pays. Par exemple, les obligations imposées aux gouvernements de partager des informations sensibles sur les nouveaux foyers de maladie ou de partager des technologies sont susceptibles d’être négociées simultanément dans le cadre du RSI et du traité sur les pandémies. Il est donc fort possible que rien ne soit convenu tant que tout n’est pas convenu et que tout cela prenne beaucoup plus de temps que le délai de douze à seize mois que se sont fixé les gouvernements.

De nombreux pays se sont mis d'accord sur la poursuite d'un traité, principalement pour injecter plus d'équité. équité dans les règles internationales.

Une troisième question est de savoir dans quelle mesure le traité répondra efficacement aux préoccupations de longue date des pays en développement concernant l’accès aux vaccins et aux autres technologies de santé. D’une part, la propriété intellectuelle est la problématique la plus manifestement litigieuse dans le projet actuel de traité sur les pandémies, avec un texte largement crocheté et d’ancestrales divisions politiques Nord-Sud. Les pourparlers tenus à l’Organisation mondiale du Commerce (OMC) sur la levée temporaire des protections de la propriété intellectuelle pendant la pandémie de Covid-19 pourraient durer plus longtemps que la pandémie elle-même et en sont globalement à un match nul. D’autre part, le traité sur les pandémies pourrait ouvrir la voie à un accord global – si les pays industrialisés acceptent de partager leur propriété intellectuelle et technologie, les pays en développement pourraient accepter de partager leurs échantillons d’agents pathogènes et données de séquençage génomique correspondantes, qui sont essentiels à la fois pour la surveillance et pour le développement rapide de tests diagnostiques et de vaccins. De nombreux pays ont accepté de militer en faveur d’un traité dans le but premier d’insuffler davantage d'équité dans les règles internationales. Si l’on ne parvient pas à se mettre d’accord sur la manière de développer et de partager les technologies au niveau mondial afin que tous puissent y avoir accès lors de la prochaine pandémie, c’est tout le projet de régulation des pandémies qui pourrait s’effondrer.

La quatrième question porte sur les tensions géopolitiques et leur influence sur l’atteinte d’un consensus. Jusqu’à présent, à quelques exceptions notables près, la santé mondiale a semblé relativement immunisée contre les divisions géopolitiques qui ont marqué 2022. Les propositions américaines, européennes et russes visant à amender le RSI mettent en exergue des priorités qui ne sont pas radicalement différentes. La Chine n’a pour sa part présenté aucune proposition d’amendement au RSI, mais les véritables négociations n’ont pas encore commencé. Tant les amendements du RSI que le projet de traité sur les pandémies ont pris grand soin de réitérer le principe cardinal de la souveraineté – ce qui signifie, par exemple, qu’il n’y a pas d’inspections internationales obligatoires sur les sites d’épidémie ni d’obligations de financement. Jusqu’à présent, les propositions semblent aborder prudemment la possibilité que l’OMS s’ingère dans les souhaits d’un État souverain, en invoquant principalement les notions de réputation, de transparence et de dénonciation pour persuader les gouvernements de mieux coopérer lors de la prochaine pandémie.

Les négociations risquent encore d'être remises en cause par les théoriciens du complot qui ont protesté lors de réunions sur la santé mondiale contre la crainte d'une organisation internationale trop ambitieuse.

Bien qu’il y ait peu de chances que les pays accordent de nouveaux pouvoirs importants à l’OMS, les négociations risquent tout de même d’être remises en cause par les théoricien·nes de la conspiration, qui ont protesté lors des rassemblements sur la santé mondiale contre la menace d’une organisation internationale omnipotente. La méfiance à l’égard de « ce qui se trame à Genève » doit être prise au sérieux. Une réaction contre la gouvernance par des « expert·es » élitistes a déjà été perceptible pendant la pandémie et pourrait tout à fait paralyser l’adoption d’un traité dans de nombreux pays au stade de ratification nationale.

Une dernière grande question est de savoir ce que tout cela signifie pour le système mondial de santé – ou l’« architecture » – qui est basé à Genève. Ces deux dernières décennies, l’aide au développement a alimenté la croissance de ce système, avec la création de grands organismes de financement comme le Fonds mondial, Gavi et Unitaid. Le développement et l’élargissement de l’accès aux médicaments, aux vaccins et aux diagnostics ont souvent constitué une force motrice pour ces financeur·ses, ainsi que pour des entités plus spécialisées comme la Fondation pour de nouveaux diagnostics innovants (FIND, Foundation for Innovative New Diagnostics), basée à Genève, l’initiative « Médicaments contre les maladies négligées » (DNDi, Drugs for Neglected Diseases) ou Médicaments contre le paludisme (Medicines for Malaria Venture). Dans le même temps, un nombre croissant de pays en développement financent en grande partie leurs propres besoins sanitaires et les pays donateurs peuvent déplacer leurs priorités ailleurs, vers la préparation aux pandémies, le changement climatique, la guerre en Ukraine ou des priorités tournées vers l’intérieur comme l’inflation, l’insécurité énergétique ou la compétitivité commerciale. La confluence de ces tendances suggère que des changements majeurs se préparent à Genève pour la santé mondiale dans les années à venir, 2023 étant une année particulièrement critique pour l’élaboration de règles sur les pandémies.


À propos de l’auteur

Suerie Moon est codirectrice du Centre mondial de la santé (Global Health Centre) et professeure de pratique au département des relations internationales et des sciences politiques du Geneva Graduate Institute, qu’elle a rejoint en 2016. Avec le professeur Gian Luca Burci, elle codirige l’initiative Gouvernance pandémique (Governing Pandemics) du Centre, qui suit, analyse et soutient les efforts visant à renforcer la gouvernance mondiale des pandémies. Ses recherches se situent à l’intersection de la gouvernance mondiale et de la santé, avec un intérêt particulier pour la technologie, le pouvoir, la politique et l’équité. Elle est titulaire d’une licence en histoire de Yale, d’un MPA en relations internationales de Princeton et d’un doctorat en politique publique de l’École publique Harvard Kennedy (Harvard Kennedy School of Government).


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