GPO 2023

Learning Geneva : Une plateforme de développement humain(e) planétaire en devenir ?

Trois voies pour la Genève internationale face aux changements cruciaux dans les questions interdépendantes de développement et d’éducation : rassembler, coordonner les efforts et écouter en particulier les pays du Sud.

Geneva Policy Outlook 2024
30 janvier 2023
6 minutes de lecture
Photo de Martin Adams Martin Adams / Unsplash

Par Eunsoo Lee et Moira V. Faul

Cartographie de l’écosystème de la Genève internationale

Le monde est confronté à des changements d’une ampleur sans précédent, qui se traduisent par de multiples chocs/contraintes sur le plan humain et environnemental : de l’augmentation des inégalités à l’accélération du changement climatique, en passant par la croissance de l’autocratie et la baisse de la biodiversité. Quelles sont les transformations nécessaires pour soutenir des solutions systémiques à ces problèmes simultanés et interdépendants et pour en éliminer les causes profondes ?

La Genève internationale offre un environnement géopolitique unique propice à la coexistence d’organisations et d’individus qui œuvrent à la réalisation d’efforts coordonnés (tels que les objectifs de développement durable, ODD). Cet écosystème peut soit ralentir, soit accélérer la prise de décision, la réalisation des objectifs et le financement. Quarante-cinq pourcent des organisations basées à Genève considèrent que l’éducation et le développement cognitif et émotionnel humain sont importants pour atteindre les objectifs de transition planétaire. Quelles contraintes peuvent découler d’orientations futures encore floues concernant l’éducation et le développement humain ? Comment la Genève internationale peut-elle répondre aux changements cruciaux qui s’opèrent dans la gouvernance et le financement de l’éducation et d’autres questions de développement interdépendantes ?

Trois changements cruciaux

Trois tendances étroitement liées, profondément ancrées dans les changements géopolitiques et économiques de ces dernières années, se dégagent et continuent d’influer sur le positionnement stratégique de Genève et des organisations opérant dans la ville et à travers ses réseaux internationaux. Ces tendances ne concernent pas uniquement le domaine de l’éducation. On les observent également dans l’ensemble du secteur du développement international, ce qui souligne l’interdépendance entre l’éducation et d’autres objectifs de développement et de gouvernance.

Localisation

Les discours sur la localisation ont été mis en pratique dans les secteurs du développement et de l’humanitaire. En 2021, 'USAID s'est engagé à consacrer 25 % de son budget à des partenaires locaux au cours des quatre prochaines années, et à intégrer des responsables locaux dans 50 % de ses programmes d’ici la fin de la décennie. Des programmes tels que « Centroamérica Local » et « Africa Localization Initiative » témoignent de ce virage vers la localisation, qui est apparue comme une réponse aux préoccupations décoloniales et à la volonté des donateurs de réduire les coûts des transactions. Les changements dans les mandats des organisations réorientent les financements, souvent au détriment des OI traditionnelles et des ONG mondiales, vers des organisations implantées localement, ce qui renforce le besoin de collaboration dans l’écosystème genevois.

Diversification et fragmentation

De nombreux articles ont fait état du phénomène d’ « aide maximale », qui souligne le plafonnement de l’aide classique à l’éducation au cours de la dernière décennie. Des craintes ont été exprimées sur le fait que la pandémie et les mesures d’austérité consécutives à la récession mondiale pourraient accentuer ce phénomène. Des changements sont visibles par la diversification des sources de financement, qu’il s’agisse de la participation plus marquée (mais encore insuffisante) de capitaux privés dans des domaines autrefois dominés par des institutions publiques, ou de la part croissante de l’aide et des prêts provenant de donateurs « non traditionnels » tels que la Chine, l’Inde et l’Arabie Saoudite. On assiste aussi à une multiplication des mécanismes de financement, sous la forme d’organismes de financement commun pour l’ODD4 (tels que le Partenariat mondial pour l’éducation, GPE) ou de regroupements avec d’autres ODD ou questions humanitaires (par exemple, l’initiative « Education Cannot Wait » qui finance l’éducation dans les situations d’urgence). La diversification est un outil à double tranchant, qui peut d’un côté entraîner de l’innovation, mais de l’autre conduire à une fragmentation de l'aide, où les objectifs généraux sont divisés en petits programmes qui se font concurrence pour des ressources limitées. En réponse, des appels à un nouveau pacte mondial sur le financement de l’éducation ont émergé.

Décentralisation

La plus grande confiance accordée au travail à distance à la suite des confinements COVID-19 a incité les organisations basées dans les villes sièges traditionnelles à adopter des modes de fonctionnement décentralisés. Dans une enquête de 2021, 65 % des ONG basées à Genève ont signalé une baisse des interactions avec les OI au plus fort de la pandémie en Europe, tandis que quelques-unes envisageaient de déménager vers des endroits moins coûteux. On a déjà assisté à des relocalisations stratégiques d’organisations depuis les villes sièges traditionnelles vers les pays du Sud, par exemple, Oxfam International a déménagé à Nairobi en 2018 et ActionAid à Johannesburg en 2004.

Ces trois changements émergents que sont la localisation, la diversification et la décentralisation montrent que les espaces dans lesquels nous nous organisons — les emplacements physiques, les protagonistes impliqués et les systèmes de gouvernance — changent progressivement. Dans ce contexte, il convient de concevoir de nouveaux modes de coordination, qui ne reposent pas uniquement sur des stratégies de regroupement et de proximité des organisations clés, stratégies qui n’ont d’ailleurs jamais été suffisantes.

Trois voies de changement

Figure 1. Cartographie de l'écosystème de l'éducation dans la Genève internationale

Nous avons dessiné une carte des systèmes (Figure 1) sur laquelle, après avoir cartographié 65 nœuds et analysé les modèles de leurs 143 connexions, nous avons identifié trois voies. Ces voies fonctionnent comme des hypothèses qui nous guident vers un espace de proposition élaboré à partir des changements décrits précédemment.

Générer une synergie de l’écosystème

La diversification des protagonistes, les nouveaux modes de travail et les initiatives intersectorielles dans plusieurs ODD révèlent la demande croissante de modes de fonctionnement davantage organisés en réseau et plus collaboratifs. La réussite dépend du soutien apporté à un écosystème qui relie les protagonistes à l’intérieur et au-delà des frontières de Genève. Elle nécessite aussi de créer des synergies entre les grandes et les petites organisations, dont les valeurs et les modes d’organisation sont variés. Mais les réseaux et les flux existants à Genève sont hautement centralisés — une conséquence de l’agrégation des protagonistes essentiels du système au même endroit. Alors que les rapports de force changent sous les influences géopolitiques et économiques, pourrions-nous imaginer une version mieux répartie de cet écosystème ?

Figure 2. Générer une synergie de l'écosystème

Construire une nouvelle architecture de financement de l’éducation

De nombreuses personnes se sont fait l’écho de la nécessité de mettre en place de nouvelles modalités de financement, mais les solutions adoptées jusqu’à présent ont accentué la fragmentation de la structure de l’aide et de ses objectifs. Nous devons investir dans une nouvelle architecture de financement de l’éducation capable de regroupements et de coordination efficaces, ainsi que dans de nouveaux mécanismes de confiance, qui permettront aux protagonistes de traiter et d’orienter les flux financiers de façon à ne pas se limiter à l’utilisation des institutions et des infrastructures existantes.

Figure 3. Construire une nouvelle architecture de financement de l'éducation

Réinventer Genève comme une plateforme de développement humain(e) planétaire

Genève est une ville unique, définie par son engagement historique en faveur du multilatéralisme, de la diplomatie et sa concentration actuelle d’OI, d’ONG et de fondations de premier plan travaillant pour des ODD interdépendants. Peut-on imaginer une plateforme « de développement humain(e) planétaire » qui utilise les ressources et les héritages existants d’une ville siège - le rassemblement des protagonistes essentiels, la capacité diplomatique et la coordination du financement, de l’information et du plaidoyer - pour construire de nouveaux modèles de gouvernance partagée ?

Figure 4. Réimaginer Genève

Trois actions essentielles

La Genève internationale et ses partisans ont aujourd’hui une occasion stratégique de changer leur façon de penser et d’agir, d’aborder l’éducation et les domaines sociaux, environnementaux et économiques qui lui sont liés comme une base pour construire une capacité de développement planétaire. Pour y parvenir, nous devons analyser la manière dont le travail à Genève et dans le monde s’influencent mutuellement, et tirer parti de l’écosystème genevois existant tout en décentralisant le pouvoir et la prise de décision grâce à ces trois actions essentielles :

  1. Réorienter la gouvernance pour passer d’un modèle de contrôle à un modèle de rassemblement, en facilitant la diplomatie stratégique et la collaboration systémique.
  2. Investir dans des  efforts coordonnés - en reliant différents ODD tout en respectant la contribution pour chacun d’entre eux, et en permettant la collaboration entre les institutions à vocation unique de Genève.
  3. Reconstruire la mission de la Genève internationale enécoutant - et en autonomisant - les personnes les plus touchées mais les moins entendues, en particulier dans les pays du Sud.

Adopter la transition

La réinvention et la promotion d’un écosystème d’apprentissage dans la Genève internationale contribueront à élaborer des systèmes éducatifs florissants soutenus par des institutions elles-mêmes en constante évolution. En réponse aux changements géopolitiques et économiques, la Genève internationale et son écosystème d’apprentissage ont l’opportunité de construire une base solide de développement humain(e) planétaire en alimentant une gouvernance translocale et partagée.


À propos des auteurs

Eunsoo Lee
En tant que conceptrice stratégique et chercheuse à Dark Matter Labs, Eunsoo a travaillé sur des sujets allant du développement international à la gouvernance urbaine, avec divers partenaires, dont le PNUD, RewirEd, le Fonds END et Bloomberg Philanthropies.

Moira V. Faul
Maîtresse de conférences au Geneva Graduate Institute et directrice exécutive de NORRAG, Moira utilise des approches systémiques, narratives et de réseau pour étudier le pouvoir, les partenariats, le financement et les inégalités dans des domaines tels que le changement climatique, l’éducation, la santé et les flux de réfugiés.


Clause de non responsabilité

Les opinions exprimées dans cette publication sont celles des auteurs. Elles ne prétendent pas refléter les opinions ou les points de vue du Geneva Policy Outlook ou de ses organisations partenaires. Cet article est une traduction d'une version originale en anglais. Pour toute utilisation officielle de l'article, veuillez vous référer à la version anglaise.