GPO 2023

Dissoudre les tensions grâce à la diplomatie de l'eau et de la paix

L'utilisation de l'eau à des fins politiques peut être un moyen efficace pour Genève d'accroître son influence internationale. La première étape consisterait à utiliser l'eau dans le cadre de l'un des événements prévus pour 2023.

Geneva Policy Outlook 2024
30 janvier 2023
5 minutes de lecture
Photo : L.L. Sammons L.L. Sammons / Unsplash

Par Mark Zeitoun, Christian Bréthaut et Caroline Pellaton

Pourquoi l’hydro-diplomatie pour la paix ?

L'été dernier (2022), des centaines d'enfants et deux fois plus d'adultes se noient dans des inondations au Pakistan, tandis que des fleuves en crue dévastent une grande partie de l'Europe. Les tensions entre les États atteignent un paroxysme au sujet des barrages sur le Nil, le Tigre, le Helmand et l'Amu Darya, pour n'en citer que quelques-uns. Le choléra sévit dans la Syrie, le Liban et le Yémen, déchirés par le choléra, tandis que les systèmes d'approvisionnement en eau sont pris pour cible dans toutes les zones de conflit actives, avec une prévisibilité telle qu'elle en devient presque monotone.

Souvent saluée comme source de vie, l’eau devient une genèse de misère.

La Genève internationale peut endiguer les souffrances et transformer ces relations en s’engageant dans l’hydro-diplomatie pour la paix. Mais pour parvenir à la paix grâce à l’eau, la communauté devra plonger en profondeur pour relever ce défi en 2023.

Un moyen d’entrée pragmatique

Le travail pourrait commencer par l’impression de l’empreinte de Genève à New York en mars 2023 à l’occasion de la Conférence d'examen à mi-parcours de la Décennie d’action sur l’eau des Nations Unies, la première conférence sur l’eau parrainée par les Nations Unies depuis Mar del Plata en 1977. Cette conférence a eu le mérite de mettre l’eau « sur la table » et a également créé une communauté mondiale sur la politique de l'eau si fermement en place qu’elle a passé la majeure partie du dernier demi-siècle à se parler à elle-même.

Depuis lors, l’ordre mondial s’est fracturé puis recomposé à plusieurs reprises. La technologie de guerre s’est développée à pas de géant tandis que les clivages autour des eaux internationales conservent une solidité déprimante: l’utilisation et l’abus de l’eau pendant une guerre militaire ou économique sont aussi rudes aujourd’hui qu’ils l’étaient en 1914 (lorsque le cours de l’Yser avait été utilisé pour inonder les tranchées en Belgique).

La diplomatie conventionnelle peut compter sur certaines normes préexistantes pour améliorer la situation, notamment les aspects pertinents du droit international humanitaire et du droit international de l'eau. Les diplomates d’États plus créatifs peuvent également accueillir une nouvelle génération d’hydrologues hybrides et de diplomates avocats de l’eau.

L'eau rapproche les gens. Une rivière qui crache soudainement des métaux lourds à la suite d'un déversement de produits chimiques ou de l'effondrement d'un barrage oblige les riverains à se confronter aux riverains, quelles que soient les relations qu'entretiennent leurs capitales, comme l'Ouzbékistan et le Kazakhstan. Les écologistes ont une grande capacité à voir au-delà de leurs frontières.

Cependant, il existe une raison plus impérieuse et plus pragmatique pour que la Genève internationale prenne au sérieux l’eau comme nouvelle forme de diplomatie, comme le soulignent Maurer et Mohamedou dans ce volume. L’eau rapproche les gens. Une rivière qui crache soudainement des métaux lourds à la suite d’un déversement de produits chimiques ou de l’effondrement d’un barrage oblige les pays en aval à affronter les pays en amont, quelles que soient les relations qu’entretiennent leurs capitales, comme l’Ouzbékistan et le Kazakhstan. Les écologistes sont très doués pour voir au-delà de leurs frontières. De même, les technicien·nes de part et d’autre d’une ville assiégée s’engagent dans une coordination remarquablement résiliente pour continuer à faire couler l’eau lorsque la source est contrôlée par un camp et les robinets par un autre. Pas toujours, mais étonnamment souvent – comme tout·e ingénieur·e humanitaire vous le dira.

Si un dialogue est déjà en cours, il serait logique de s’appuyer sur ces efforts pour atteindre d’autres objectifs politiques. Ces relations peuvent être renforcées bien avant que la confiance ne soit instaurée et des mesures peuvent même être prises avant. Parce qu’elle est par nature interdisciplinaire, multiscalaire et multiniveau, l’hydro-diplomatie pour la paix, qu’elle soit officielle, semi-officieuse ou officieuse, pourrait particulièrement bien servir des efforts de détente et de rapprochement .

Pourquoi la Genève internationale

C’est exactement la raison pour laquelle les mondes de la consolidation de la paix, du développement et de l’humanitaire commencent à s’intéresser à l’eau, en utilisant l’eau comme point d’entrée pour fournir des solutions communes à des problèmes complexes qui dépassent largement le secteur hydrique. Forte de ses organisations internationales de pointe, de ses établissements d’enseignement supérieur renommés et de sa communauté diplomatique plus opérationnelle que celle de New York, Genève se doit d’accueillir le mouvement.

La biosphère multilatérale intensément mise en réseau qu’entretient Genève est inestimable à cet égard. Tout comme l’eau est devenue un élément central des programmes progressifs sur le climat et la santé de l'Organisation météorologique mondiale (OMM), de l'Organisation mondiale de la santé (OMS) et du Comité international de la Croix-Rouge (CICR), c’est à Genève qu’elle est également intégrée aux processus diplomatiques et de consolidation de la paix.

Les occasions de défendre l’eau en 2023 ne manquent pas. L’eau peut figurer en bonne place dans les discussions du Conseil consultatif de haut niveau sur le multilatéralisme effectif (High-Level Advisory Board on Effective Multilateralism) du Secrétaire général de l'ONU en février. Sous la présidence de la Slovénie, le Groupe d'amis de l'eau pour la paix (Group of Friends on Water for Peace) peut inciter les États à atteindre des objectifs communs lors de ses réunions d’avril et de septembre. Le statut des systèmes hydriques en temps de guerre peut être soumis au Forum social du Conseil des droits de l’homme. Et, bien sûr, les acteur·rice·s pour la paix et les humanitaires peuvent montrer le potentiel de l’eau pour la paix lors de la grande conférence sur l’eau qui se tiendra à New York en mars ou en s’engageant dans l’hydro-diplomatie pour la paix aux côtés de ceux qui le font déjà. Enfin, la Plateforme de Genève pour la consolidation de la paix (Geneva Peacebuilding Platform) pourra tester les limites de l’hydro-diplomatie pour la paix lors de la Semaine de la paix de Genève en novembre 2023.

Pour parler franchement, les communautés de Genève qui prônent le dialogue devraient discuter ensemble de la manière d’utiliser l’eau pour la paix. Les sécheresses, les inondations, les tensions et les maladies ne se résorberont pas d’elles-mêmes, et la Genève internationale a ce qu’il faut pour transformer la situation. Plus elle développera l’hydro-diplomatie pour la paix comme une réponse efficace, plus Genève pourra être efficace.


À propos des auteurs

Le professeur Mark Zeitoun est le directeur général de la Plateforme de Genève pour l’eau (Geneva Water Hub) et est professeur de sécurité hydrique à l’Université d’East Anglia. Ses recherches portent sur les conflits et la coopération d’ordre transfrontalier et international dans le domaine de l’eau et sur l’influence des conflits armés sur les services hydriques. Il a dirigé de multiples projets de recherche et d’approvisionnement en eau, soutenu des négociations sur l’eau dans tout le Moyen-Orient et l’Afrique et été consultant pour un large éventail d’organisations humanitaires et de développement. Il a étudié l’ingénierie à l’université McGill et la géographie humaine au King’s College de Londres. Il est l’auteur de « Power and Water : the Hidden Politics of the Palestinian-Israeli Water Conflict » (« Pouvoir et eau : la politique cachée du conflit palestino-israélien sur l’eau », IB Tauris 2008), Water Conflicts: Analysis for Transformation (« Conflits hydriques : analyse pour une transformation », OUP 2020, avec Naho Mirumachi et Jeroen Warner), et « Reflections: Understanding our use and abuse of Water » (« Réflexions : comprendre notre utilisation et notre abus de l’eau », OUP 2023).

Le professeur Christian Bréthaut est titulaire d’un doctorat en géosciences et environnement de l’Université de Lausanne. Il dirige la composante éducation et connaissances de la Plateforme de Genève pour l’eau depuis août 2014. Son domaine d’expertise est l’analyse des politiques hydriques et les questions liées à la gestion des rivières transfrontalières. Dans le domaine de la gestion de l’eau, le professeur Bréthaut s’intéresse particulièrement à la capacité d’adaptation des institutions, aux interfaces eau-alimentation-énergie-écosystèmes et à l’exploration du lien entre science et politique.

Caroline Pellaton est titulaire d’un doctorat en sciences de la terre de l’Université de Genève. Elle a rejoint la Plateforme de Genève pour l’eau en juin 2018 en qualité d’administratrice des opérations d’entreprise. Son travail consiste à gérer les questions administratives ainsi qu’à suivre les réalisations et la mise en œuvre des objectifs, tout en contribuant à certaines activités opérationnelles. Elle est également chargée des activités de collecte de fonds et des relations avec les donateurs. Ces dix dernières années, elle a travaillé en tant que gestionnaire de programmes hydriques au niveau national dans des environnements d’urgence et post-conflit, notamment au Sri Lanka, au Niger, en République du Sud-Soudan, en République centrafricaine, au Yémen et en Jordanie.


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Les opinions exprimées dans cette publication sont celles des auteurs. Elles ne prétendent pas refléter les opinions ou les points de vue du Geneva Policy Outlook ou de ses organisations partenaires. Cet article est une traduction d'une version originale en anglais. Pour toute utilisation officielle de l'article, veuillez vous référer à la version anglaise.