GPO 2023

Aborder discrètement l'action climatique par le biais de la diplomatie de la Terre

Le système multilatéral fondé sur le consensus ne permet pas de prendre des mesures urgentes en faveur du climat. Quelles sont les voies complémentaires possibles ? Une forme plus souple de diplomatie privée, appelée "diplomatie de la Terre", pourrait ouvrir la voie.

Geneva Policy Outlook 2024
30 janvier 2023
4 min de lecture
Photo par Annie Spratt / Unsplash

Par Gabriel Gomes Couto

La fenêtre d’opportunité permettant à l’humanité de prévenir des catastrophes climatiques majeures se referme rapidement, et le système multilatéral ne réagit pas assez vite. Le multilatéralisme fait ce pour quoi il est équipé : négocier des accords mondiaux qui reflètent les intentions et les limitations de 198 parties (197 États nationaux et l’Union européenne). En cherchant des alternatives en parallèle à ce système, la diplomatie privée peut-elle aider à débloquer des voies alternatives pour une action climatique concrète et urgente ? Pour répondre à cette question, cet article propose une forme de diplomatie beaucoup plus agile, orientée vers l’action, afin de trouver le chemin de moindre résistance vers une action climatique urgente : la Diplomatie pour la terre ou « Earth Diplomacy ».

Malgré trente années de négociations multilatérales sur le climat dans le cadre de la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (CCNUCC), le monde reste très loin de l’objectif de limiter le réchauffement de la planète à 1,5 °C par rapport aux niveaux préindustriels. Avec la conclusion de la 27e Conférence des Parties à la CCNUCC (COP27), même dans le scénario peu probable où tous les pays tiendraient leurs promesses, la planète sera toujours sur la voie d’un réchauffement de 2,7 °C d'ici la fin du siècle. Pour rester aussi près que possible de l’objectif de 1,5 °C, les émissions de carbone doivent atteindre un pic avant 2025 puis diminuer de 43 % au plus tard en 2030. Le message est clair : les discussions doivent passer des traités à l’action, des accords aux projets concrets sur le terrain.

L'action en faveur du climat est parsemée de problèmes : conflits d'intérêts, tant politiques que privés, et concurrence géopolitique. Dans la médiation de paix, la diplomatie privée est couramment utilisée comme voie parallèle lorsque les processus officiels sont bloqués. Pourquoi ne pas l'utiliser pour le changement climatique ?

Toutefois, les combustibles fossiles n’étant pas une simple source d’énergie mais une monnaie de pouvoir pour les États et les élites, l’action climatique apparaît truffée de problèmes : conflits d’intérêts, tant politiques que privés, et concurrence géopolitique. Dans la médiation en faveur de la paix, la diplomatie privée est couramment employée comme voie parallèle lorsque les processus officiels sont au point mort. Pourquoi ne pas l’utiliser pour le changement climatique ?

« Earth Diplomacy » : appliquer la diplomatie privée à l’action climatique

La diplomatie privée est le soutien à la médiation ou à la facilitation assuré par des acteur·rice·s qui ne représentent pas des États ou des organisations gouvernementales, comme les Nations Unies. Le Centre pour le dialogue humanitaire (Centre pour le dialogue humanitaire ; HD), basé à Genève, , en constitue l’exemple par excellence. Organisation non-gouvernementale indépendante, HD a contribué à résoudre des conflits armés dans certains des environnements les plus complexes du monde. L’objectif premier de la diplomatie privée est d’aller là où les gouvernements et les organisations gouvernementales ne peuvent pas se rendre en raison de complexités politiques ou de limitations de mandat. Les acteur·rice·s non étatiques ont l’avantage comparatif d’être plus petits et généralement moins chers que les acteur·rice·s étatiques. Elles/ils peuvent également avoir un meilleur accès aux acteur·rice·s difficiles à atteindre et pourtant cruciaux pour la résolution de certains problèmes, notamment les acteur·rice·s non étatiques puissants tels que les groupes armés. Cela étant, la diplomatie privée n’est pas une panacée. Elle ne se substitue pas aux négociations officielles, ni aux mécanismes multilatéraux. Il s’agit plutôt d’une voie alternative, à emprunter lorsque les voies officielles sont obstruées et que des canaux discrets apparaissent nécessaires pour dénouer les impasses.

Si la diplomatie privée ne se substitue pas aux négociations officielles et aux accords multilatéraux, en quoi est-elle pertinente, notamment dans le contexte climatique ? La réponse est triple :

Premièrement, la diplomatie privée permet de rassembler des expert·es pour réfléchir et tester des solutions. Sans passer par des négociations strictement « officielles », la diplomatie privée offre de précieuses opportunités pour inclure des scientifiques, la société civile et le secteur privé en vue de concevoir et de tester des solutions réalistes et légitimes. Les solutions climatiques requièrent une collaboration étroite entre le corps politique, les scientifiques, le secteur privé et la société civile.

Deuxièmement, la diplomatie privée crée des canaux discrets qui peuvent équilibrer discrétion et inclusion. La création d’espaces sûrs pour des négociations discrètes est indispensable à l’instauration de la confiance entre les parties. En privé, des liens peuvent être noués au niveau personnel, rendant ainsi les identités institutionnelles secondaires. En outre, l’action pour le climat requiert souvent la coopération d’acteur·rice·s qui n’ont pas forcément de relations officielles ou qui doivent outrepasser leurs mandats, d’où l’importance de ces canaux discrets, dans lesquels les idées et propositions peuvent être discutées plus librement.

Troisièmement, la diplomatie privée fait intervenir des acteur·rice·s difficiles d’accès mais puissants. Il est naïf de penser que les acteur·rice·s étatiques peuvent à eux seuls résoudre les conflits ou le changement climatique. Responsable d’une grande partie des émissions de carbone dans le monde, le secteur privé joue un rôle fondamental dans la lutte contre le changement climatique. En outre, dans de nombreux contextes, des groupes armés et milices non étatiques contrôlent les ressources naturelles et les sources d’eau. En trouvant un moyen de travailler avec ces acteur·rice·s du secteur privé et ces dirigeant·es de facto, la diplomatie privée peut se révéler idéale pour promouvoir la protection de l’environnement et l’action climatique, même dans des environnements complexes. Il s’agit d’une lacune que les États et les grandes organisations internationales ne peuvent pas combler en raison du coût politique élevé souvent associé à l’engagement d’acteur·rice·s complexes.

Au lieu de se concentrer sur l'adhésion de 200 parties à un traité multilatéral global, la diplomatie de la Terre peut aider à concevoir et à faire avancer des solutions pragmatiques sur des questions ciblées.

En rassemblant tous ces éléments, cet article propose « Earth Diplomacy » comme une nouvelle application de la diplomatie privée pour éliminer les obstacles à une action climatique urgente et réaliste. Plus qu’une méthode de travail, « Earth Diplomacy » devrait constituer un moyen de médiation indépendant et agile pour mettre en relation certain·es acteur·rice·s et faciliter les solutions climatiques. Plutôt que d’œuvrer pour faire signer un traité multilatéral par deux cents parties, « Earth Diplomacy » peut aider à concevoir et à promouvoir des solutions pragmatiques à des problèmes ciblés, comme la conservation des écosystèmes menacés, la restauration d’environnements dégradés, la construction de nouvelles centrales électriques à énergie verte, les transferts de technologie et bien d’autres domaines clés et urgents.

La Genève internationale comme plaque tournante de « Earth Diplomacy »

Du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC) au secteur financier, en passant par les missions diplomatiques, les traders en matières premières et de nombreuses agences spécialisées, Genève est parfaitement équipée pour produire une action climatique. Le « décloisonnement » est un terme à la mode dans le milieu, il est maintenant temps de le mettre en pratique. La ville est toujours à une poignée de main des représentant·es d’État, des P.-D.G., des investisseur·ses de premier plan, des directeur·trices de groupes de réflexion et d'autres acteurs puissants des quatre coins du monde. Sa valeur critique repose sur la qualité de ses connexions avec le monde réel à travers tant de secteurs.

L’accélération des solutions pour l’action climatique peut (et doit) s’appuyer sur ces réseaux, mais l’intensification de ces efforts exige aussi plus de volonté pour faire de Genève la capitale de la recherche sur les solutions climatiques par le biais de « Earth Diplomacy ».


À propos de l'auteur

Gabriel Gomes Couto est conseiller pour la durabilité et le changement climatique auprès de l’Initiative Peace Dividend et est en passe de lancer le projet indépendant « Earth Diplomacy » pour accélérer l’action climatique. Spécialisé dans la médiation, la sécurité climatique et la consolidation de la paix environnementale, il est titulaire d’un master en études du développement du Geneva Graduate Institute.


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