Par Tony Rinaudo, Juliet Bell et Athena Peralta
Le monde est confronté à des crises écologiques multiples, y compris le déplacement climatique et la dégradation rapide des systèmes planétaires critiques. Selon les estimations, la dégradation des terres touche 3,2 milliards de personnes à l'échelle mondiale. En l’absence d’une solution unique qui pourrait permettre de répondre à ces défis, la régénération naturelle gérée par les agriculteurs (Farmer Managed Natural Regeneration, FMNR, d’après son acronyme anglais), fondée sur les connaissances traditionnelles du Niger, représente une approche à faible coût et à haut impact de la restauration des terres dégradées qui s’appuie sur le soin de la végétation existante. Les petits exploitants agricoles d’Afrique ont pu vérifier l’efficacité de la FMNR, et font sa promotion depuis plus de 40 ans. Aujourd’hui, elle est pratiquée dans plus de 40 pays, appuyant les communautés pour les aider à lutter contre la pauvreté, la faim, le changement climatique et l’appauvrissement de la biodiversité tout en créant des paysages résilients du point de vue climatique. Son potentiel de mise à l’échelle ainsi que son coût minimal font de la FMNR un outil vital pour la restauration environnementale, pour un prix de seulement 20 $ par hectare ; en comparaison, le prix de la plantation d’arbres s’établit entre 400 $ et 8 000 $. Malgré deux décennies de mise en œuvre couronnée de succès, le plein potentiel de la FMNR n’est pas encore exploité. Le renforcement de la sensibilisation et le soutien politique sont essentiels pour concrétiser son impact mondial.
Farmer Managed Natural Regeneration (FMNR) représente une approche à faible coût et à haut impact de la restauration des terres dégradées qui s’appuie sur le soin de la végétation existante.
L'impact de la FMNR
La FMNR peut se targuer d’un bilan remarquable en termes de réussite. Au Niger uniquement, sur 20 ans, les efforts ont permis de restaurer environ 5 millions d’hectares de terres agricoles, soit plus que la superficie de la Suisse, augmentant la densité d’arbres pour la faire passer de 4 à 40 par hectare et entraînant la restauration d’environ 200 millions d'arbres. Les petits exploitants agricoles, avec des intrants externes minimaux, ont joué un rôle essentiel dans cette transformation. Les résultats sont loin d’être négligeables : 500 000 tonnes de céréales supplémentaires ont été produites annuellement, bénéficiant à 2,5 millions de personnes. Cela s’est traduit par un revenu brut supplémentaire de 900 millions de $ par an, bénéficiant à 4,5 millions de personnes.
Au Niger uniquement, sur 20 ans, les efforts ont permis de restaurer environ 5 millions d’hectares de terres agricoles, soit plus que la superficie de la Suisse.
En outre, la FMNR contribue au piégeage du carbone, permettant de stocker entre 5 à 10 millions de tonnes de CO2 tous les ans au Niger. Ces chiffres mettent en avant la capacité de la FMNR à améliorer les droits humains, y compris les droits respectifs à l’alimentation, à l’eau et à un environnement sain. À l’échelle mondiale, selon des estimations prudentes, l’étendue des zones concernées par la FMNR à la fois traditionnellement pratiquée et promue s’établit à 18,2 millions d’hectares, ce qui correspond à peu près à la surface du Cambodge.
L’accélération de la FMNR par l'intermédiaire des organisations et des mouvements confessionnels
Pour mettre complètement à l’échelle la FMNR, il est crucial d’aller au-delà des projets et de construire des mouvements de terrain. L’engagement des agriculteurs, des femmes et des jeunes dans les efforts de reverdissement peut transformer les attitudes des communautés et des gouvernements vis à vis du rôle des arbres dans les paysages. Historiquement perçus comme des obstacles à l’agriculture, ceux-ci sont pourtant essentiels à l’amélioration de la fertilité des sols, de la rétention de l’eau et de la productivité des cultures. Les mouvements autant locaux qu’internationaux (y compris les mouvements pluriconfessionnels, environnementaux, commerciaux et éducatifs) sont critiques pour faire évoluer cet état d’esprit et favoriser une adoption à large échelle. Les organisations confessionnelles telles que World Vision ou le Conseil œcuménique des Églises jouent un rôle essentiel dans la construction de ces mouvements. Dotées de larges réseaux et de membres engagés, les organisations confessionnelles favorisent les changements de comportement et promeuvent la bonne gestion de l’environnement. Par exemple, le Forum interconfessionnel de Genève sur les changements climatiques, l’environnement et les droits de la personne incarne l’engagement des organisations confessionnelles dans la lutte contre les défis environnementaux. Les chefs spirituels, profondément ancrés dans les communautés locales, peuvent influencer les agriculteurs, les dirigeants industriels et les décideurs politiques pour les pousser à adopter la FMNR. Les chefs religieux peuvent intégrer la FMNR à leurs messages, inspirant les agriculteurs et les communautés pour les inciter à adopter des pratiques durables de gestion des terres. Les organisations confessionnelles plaident également en faveur des réformes des politiques qui créent un environnement favorable à la FMNR.
Les organisations confessionnelles telles que World Vision ou le Conseil œcuménique des Églises jouent un rôle essentiel dans la construction de ces mouvements.
Le rôle unique de Genève en tant que pôle mondial en matière de politiques
Un environnement de politiques favorable est essentiel pour permettre à la FMNR de prospérer. Garantir le statut foncier est essentiel pour les agriculteurs qui souhaitent investir dans la FMNR. Les incitations financières telles que les subventions, bourses ou réductions fiscales encouragent les agriculteurs à adopter des pratiques durables. L'intégration de la FMNR aux stratégies nationales et régionales d’adaptation climatique et de réduction des risques de catastrophe peut accélérer l’adoption. Par exemple, des recherches suggèrent que la FMNR peut augmenter jusqu'à 300 % les récoltes, preuve de son potentiel d’amélioration de la sécurité alimentaire.
Le rôle de Genève en tant que pôle mondial en matière de politiques la positionne comme un catalyseur de l’expansion de la FMNR. Genève accueille nombre de think tanks de politique environnementale et d’organisations internationales centrés sur la protection de l’environnement. C’est le lieu idéal pour faciliter le dialogue et promouvoir la FMNR. Par exemple, The Geneva Association, qui vise à répondre aux défis mondiaux dans le domaine de l’assurance, peut jouer un rôle critique dans la promotion de la FMNR en tant que stratégie d’atténuation des risques. Le reverdissement des paysages via la FMNR réduit les risques climatiques, faisant baisser les potentielles déclarations de sinistre. Genève peut appuyer les politiques promouvant la restauration des terres en sensibilisant à l’impact de la FMNR sur la réduction des risques dans les chaînes d’approvisionnement mondiales.
Un appel à l'action
La FMNR est sur le point de se développer de manière significative en 2025 en raison de l’investissement de World Vision Australie dans quatre pays catalyseurs, qui ont démontré des capacités de mise à l’échelle rapide de la communauté à la région puis à la nation et, en parallèle, de son intégration à de nombreux programmes thématiques de World Vision sur l’ensemble de la planète, démontrant son applicabilité dans différents environnements biophysiques et contextes socioéconomiques. Du fait de ses origines et de ses réussites considérables au Niger, elle est progressivement reconnue comme une solution pouvant être mise à l’échelle à l’international pour une restauration rapide des sols. En tirant parti de l’élan des conférences mondiales pour le climat et d’événements tels que le Temps pour la création œcuménique ou l’année du Jubilé à Rome, la FMNR gagnera une visibilité internationale. Ces plateformes, soutenues par les communautés confessionnelles, plaideront en faveur de la mise en œuvre de la FMNR en tant que solution climatique centrale.
Les décideurs politiques, les chercheurs et les professionnels doivent échanger leurs connaissances pour mettre en avant les bénéfices de la FMNR, et notamment la réduction de la pauvreté, l’augmentation de la production alimentaire et de bois et le renforcement de la résilience climatique.
La FMNR nécessite des actions de plaidoyer, un partage des connaissances et un rassemblement stratégique dans des espaces politiques tels que Genève pour atteindre une échelle mondiale. Les décideurs politiques, les chercheurs et les professionnels doivent échanger leurs connaissances pour mettre en avant les bénéfices de la FMNR, et notamment la réduction de la pauvreté, l’augmentation de la production alimentaire et de bois et le renforcement de la résilience climatique. Forum de la diplomatie mondiale, Genève constitue la plateforme idéale pour promouvoir la FMNR et faire progresser les efforts mondiaux de régénération des terres.
En disposant de l'environnement politique adapté et de la construction d'un mouvement animé par la foi, la FMNR peut contribuer à reverdir notre planète et à bâtir un avenir plus sûr et plus durable.
À propos des auteurs
Tony Rinaudo est un agronome australien, conseiller principal de l’action climatique de World Vision Australie, et membre de son équipe de développement de la FMNR.
Juliet Bell est une scientifique climatique australienne et responsable des partenariats mondiaux de l’équipe de développement de la FMNR de World Vision Australie.
Athena Peralta est responsable de programme pour la justice économique et écologique au Conseil œcuménique des Églises.
Les opinions exprimées dans cette publication sont celles des auteurs. Elles ne prétendent pas refléter les opinions ou les points de vue du Geneva Policy Outlook ou de ses organisations partenaires.

Références
IPBES, 2018. The IPBES Assessment Report on Land Degradation and Restoration. Secretariat of the Intergovernmental Science-Policy Platform on Biodiversity and Ecosystem Services.
Reij, C., Winterbottom, R., 2015. Scaling up Regreening: Six Steps to Success. World Resources Institute.
Reij, C., Tappan, G., Smale, M., 2009. Agroenvironmental Transformation in the Sahel: Another Kind of ‘Green Revolution.’ IFPRI Discussion Paper.
Rockström, J., et al., 2009. A Safe Operating Space for Humanity. Nature, 461(7263), pp.472-475.
Abasse T, Massaoudou M, Ribiou H, Idrissa S, Dan Guimbo I, 2023. Farmer Managed Natural Regeneration in Niger: the State of Knowledge. Tropenbos International, Ede, the Netherlands.
Stevens, C., R. Winterbottom, J. Springer, and K. Reytar. 2014. “Securing Rights, Combating Climate Change: How Strengthening Community Forest Rights Mitigates Climate Change.” Washington, DC: World Resources Institute. Accessible at www.wri.org/securing-rights.