Par Suerie Moon
En mai 2024, les pays se sont mis d’accord sur les amendements à apporter au Règlement sanitaire international de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS). Ces règles juridiquement contraignantes régissent la manière dont 196 pays font face à la menace des épidémies de maladies infectieuses susceptibles de transcender les frontières. Cela a représenté une réussite diplomatique primordiale pour des négociateurs lassés dans un contexte géopolitique polarisé. Les amendements ont comblé certaines lacunes du Règlement sanitaire international, révélées par la COVID-19. Toutefois, ils n'ont pas permis de résoudre de nombreux problèmes critiques et délicats politiquement qui relèvent désormais de l’Accord sur les pandémies (AP). L’AP devait franchir la ligne d’arrivée en même temps que le Règlement sanitaire international, mais les pays n’ayant pas pu parvenir à un consensus, ont fait prolonger les négociations jusqu’à l’Assemblée mondiale de la Santé de mai 2025.
Le risque de la prochaine pandémie mondiale
L’échelle et la vitesse dévastatrices des pandémies auraient largement justifié l’achèvement de ces pourparlers cette année. Contrairement à l’attention politique mondiale, la menace d'une autre pandémie n’a pas faibli depuis la crise de la COVID-19. En août 2024, l'épidémie mondiale de mpox a été déclarée urgence sanitaire continentale et internationale respectivement par les Centres africains de prévention et de contrôle des maladies et l’OMS. Les efforts visant à juguler la mpox ont été contrecarrés par les conflits armés et les déficits de ressources des systèmes de santé au niveau national, ainsi que par les retards dans l’accès aux vaccins et aux autres technologies au niveau international. Ceci fut un rappel brutal que les faiblesses structurelles ayant entravé la réponse à la COVID-19 n’ont toujours pas été corrigées.
Contrairement à l’attention politique mondiale, la menace d'une autre pandémie n’a pas faibli depuis la crise de la COVID-19.
En parallèle, une forme hautement pathogène de l'influenza aviaire détectée pour la première fois chez des vaches laitières aux États-Unis en mars 2024, continue de se propager parmi le bétail et les personnes en contact étroit avec ce dernier. Cette épidémie est un rappel sinistre que les agents pathogènes peuvent circuler de manière inattendue entre les animaux, les humains et l’environnement naturel, ce qui soulève de nombreux défis techniques et politiques. Les efforts visant à faire en sorte que les secteurs de la santé humaine, animale et environnementale collaborent de manière plus étroite au niveau national et international, baptisés l’approche Une seule santé, progressent lentement mais sont devenus une patate chaude politique dans les pourparlers en vue de l’Accord sur les pandémies. “Une seule santé” reflète la manière dont les négociations sur l’AP sont tombées dans les vieux clivages entre Nord et Sud.
La divergence des approches entre les pays à haut revenu et à faible revenu
Certains pays à haut revenu, principalement ceux de l’Union européenne, exercent une forte pression en faveur de nouveaux engagements dans le cadre d’Une seule santé. Ils considèrent ces obligations comme le gain le plus important au-delà du statu quo auquel ils parviendraient par le biais de l’AP. De nombreux pays à revenu faible et intermédiaire sont méfiants quant aux coûts et aux désavantages commerciaux potentiels liés aux engagements d’Une seule santé, car ils pourraient nécessiter des systèmes de surveillance plus développés et avoir des implications considérables sur les pratiques en matière d'élevage du bétail, de faune et de flore sauvages, et d'utilisation des terres.
Entre-temps, le risque de conflits d'influence n'est jamais loin. Certains se demandent si les règles internationales juridiquement contraignantes sur “Une seule santé” ne devraient pas relever d’un traité géré par l’OMS plutôt que d’être du ressort de l’ensemble des quatre organisations internationales qui coopèrent désormais sous l’égide de l’alliance quadripartite (c’est-à-dire l’Organisation pour l’alimentation et l’agriculture, le Programme des Nations Unies pour l’environnement, l’OMS et l’Organisation mondiale de la santé animale).
En parallèle, les pays en développement ont donné priorité aux mesures assurant un accès plus fiable aux produits nécessaires pour lutter contre les pandémies tels que les vaccins, les médicaments ou les dispositifs de diagnostic, ce qui constitue les questions « d’équité ». Le projet d’AP inclut certaines des dispositions les plus détaillées de l’ensemble des traités internationaux autour du renforcement de la coopération internationale sur la recherche et le développement, la production diversifiée régionalement, le transfert de technologies, les droits de propriété intellectuelle et la consolidation des chaînes d’approvisionnement des médicaments.
Obstacle à la négociation
Toutefois, la question de savoir si ces dispositions pourront être finalisées dépend de la résolution d'un problème complexe et difficile connu sous le nom de système d’accès aux agents pathogènes et de partage des avantages découlant de leur utilisation (« système PABS », d’après son acronyme anglais). En bref, suivre la vitesse et la mutation des agents pathogènes qui pourraient entraîner des pandémies nécessite qu’une communauté mondiale de scientifiques partage des échantillons d’agents pathogènes et des données rapidement et à l'international, ce qu’ont largement fait les scientifiques pendant la pandémie de COVID-19. Un tel partage est également l'ingrédient de départ qui permet aux chercheurs de mettre rapidement au point des tests de diagnostic et des vaccins lorsqu’une nouvelle épidémie est détectée. Toutefois, à l’heure actuelle, aucune règle internationale, le Règlement sanitaire international récemment amendé compris, n’exige des gouvernements qu’ils partagent leurs échantillons d’agents pathogènes et leurs données à l’international, et cette lacune dans l’architecture juridique expose tous les pays à un risque accru. Pourtant, de nombreux pays à revenu faible et intermédiaire hésitent à accepter ces obligations, craignant de ne pas avoir accès aux produits mis au point à partir des échantillons et des données qu’ils auront partagés.
À l'heure actuelle, aucune règle internationale, le Règlement sanitaire international récemment amendé compris, n’exige des gouvernements qu’ils partagent leurs échantillons d’agents pathogènes et leurs données à l’international, et cette lacune dans l’architecture juridique expose tous les pays à un risque accru.
Pour compliquer encore plus la situation, un autre traité régit déjà une partie de l’équation : les parties à la Convention sur la diversité biologique de 1992 et son Protocole de Nagoya de 2010 se sont engagées à partager les avantages en échange de l’accès aux ressources génétiques (telles que les échantillons d’agents pathogènes). Néanmoins, les accords sur l’accès aux ressources génétiques et aux avantages font généralement l’objet de longues négociations bilatérales, qui sont entièrement inadaptées à l’urgence du partage au cours d'une pandémie. La question de savoir comment assurer un partage des avantages juste s’est encore complexifiée avec l’avènement des informations sur le séquençage numérique, qui peuvent parfois remplacer la nécessité de partager des échantillons physiques de ressources génétiques. Les négociations sur la Convention sur la diversité biologique, qui ont été menées en parallèle des pourparlers sur l’AP, ont tenté de résoudre le problème des informations sur le séquençage numérique, mais à la 16e conférence des Parties à la Convention sur la diversité biologique tenue à Cali (Colombie) en novembre 2024, cela n'a pas été réalisé.
Pourquoi est-ce important ? La construction d'un système multilatéral pour la santé mondiale
Les négociateurs dans le domaine de la santé tentent d’élaborer un système distinct, créé à partir des règles de la Convention sur la diversité biologique et du Protocole de Nagoya et adapté spécifiquement aux pandémies : un système multilatéral qui permettrait un partage rapide des échantillons et des données ainsi qu’un partage juste des vaccins, des médicaments et des dispositifs de diagnostic. Sans avoir d'accord sur les éléments centraux du PABS, il est improbable qu’un Accord sur les pandémies puisse être conclu. Et tous les pays, qu’ils soient du Nord ou du Sud, bénéficieraient d’un système PABS fiable, fonctionnel et équitable. Toutefois, les complexités juridiques et techniques ont freiné les progrès.
Les négociateurs dans le domaine de la santé tentent d’élaborer un système distinct, créé à partir des règles de la Convention sur la diversité biologique et du Protocole de Nagoya et adapté spécifiquement aux pandémies : un système multilatéral qui permettrait un partage rapide des échantillons et des données ainsi qu’un partage juste des vaccins, des médicaments et des dispositifs de diagnostic.
Une voie à suivre, soutenue par de nombreux pays, est de convenir des principaux piliers d’un système PABS dans l’AP et de laisser les négociations sur sa mise en œuvre aux pourparlers futurs, via un protocole ou une annexe à l’AP. Toutefois, l’accord concernant cette voie semble reposer sur un renforcement des engagements en faveur d’ ”Une seule santé”. Il est possible de réaliser des progrès dans le domaine d’ ”Une seule santé”, en théorie, en s’appuyant sur des engagements fiables à mobiliser le financement international qui rendrait les pays en développement plus à l’aise à l’idée d’assumer de nouvelles obligations. Cependant, la plupart des pays faisant traditionnellement partie des plus gros donateurs (par exemple le Royaume-Uni, l’Allemagne ou la France) ont récemment réduit leurs budgets d’assistance au développement, sous la pression de l’augmentation des dépenses pour la sécurité nationale et de l’aide à l’Ukraine. Il faudrait que les financements proviennent de sources non-traditionnelles, mais jusqu’à maintenant, il n’est pas clair de qui ou de quoi il pourrait s’agir.
La récente élection à la prochaine présidence des États-Unis de Donald Trump, qui renforcera certainement encore les pressions fiscales exercées sur l’Europe, ajoute une dose d’imprévisibilité à la situation. Les membres du Parti républicain de M. Trump ont par ailleurs attaqué ouvertement l’AP, le désignant comme une menace à l’égard de la souveraineté. Le retrait des États-Unis de l’OMS par M. Trump en 2020 (rapidement renversé à la prise de fonction de Joe Biden) plane non seulement sur les pourparlers dans le cadre du traité, mais également sur l’ensemble de l’OMS et du système des Nations Unies en général. Ce qui est encore incertain est la manière dont les 193 autres États Membres de l’OMS procèderont, étant donné que la ratification par les États-Unis d'un traité sur les pandémies a toujours fait l’objet de sérieux doutes.
Si les pays ont réalisé des petits mais concrets progrès vers un AP significatif en 2024, en 2025, il faudra encore négocier plusieurs passages délicats dans des mers agitées. Mais la nature n’attend pas. Le monde serait plus sûr si les gouvernements s’accordaient sur des règles justes et efficaces pour régir les pandémies en 2025. Pour y parvenir, il faudra faire preuve de diplomatie habile et de compromis, ainsi que de mettre en place des dispositifs de gouvernance solides pour la mise en œuvre post-traité.
* Lors de la16e conférence des parties à la Convention sur la diversité biologique qui s'est tenue à Cali (Colombie) en novembre 2024, les parties ont convenu mécanisme multilatéral pour le partage des informations sur le séquençage numérique et les avantages liés et ont mis en place le « fonds de Cali », qui administrerait les contributions financières calculées proportionnellement aux ventes ou aux profits des utilisateurs d’informations de séquençage numérique. La décision n’est pas juridiquement contraignante pour les parties à la Convention sur la diversité biologique. Néanmoins, les parties peuvent la mettre en œuvre dans leurs législations nationales, et ainsi la rendre obligatoire pour les utilisateurs selon leur territoire.
À propos de l'auteur
Suerie Moon est codirectrice du Centre mondial de la santé (Global Health Centre) et professeure de pratique au département des relations internationales et des sciences politiques du Geneva Graduate Institute.
Les opinions exprimées dans cette publication sont celles des auteurs. Elles ne prétendent pas refléter les opinions ou les points de vue du Geneva Policy Outlook ou de ses organisations partenaires.
